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nouvelles des temps à venir
9 avril 2014

Andres Anson Nouvelles des temps à venir Les

Andres Anson

 

 

 

Nouvelles
 des temps à venir


Les orphelins de père

 

 

Paroles perdues

Les hommes ne trouvent plus les mots. Un silence étrange recouvre comme un linceul les cités. Mêmes les acteurs politiques sont contraints d’économiser leur verbe. Les joutes s’apaisent, il faut chercher des mots rares et précieux. Le monde s’en va moins vite, étirant des heures de plus en plus paresseuses de l’aube au crépuscule. Les amoureux gardent leur force pour se dire quelques « je t’aime ». Les vieux couples sont enfin sereins, n’étant plus sommés d’avoir à se dire n’importe quoi pour combler la béance qui sépare leurs corps. Les enfants apprennent chaque syllabe en les mâchant longuement, comme on savoure une friandise en bouche avant de l’avaler.

En même temps, se perd la faculté d’écrire et de lire, les mots s’effaçant de la mémoire. Les poètes redeviennent un temps des personnages importants : il semble en effet que leurs Dits soient affectés moins rapidement par cette étrange maladie. Ici et là, on entend les auteurs déclamer des vers. Mais dès lors que les poètes parlent en prose, ils sont aussi peu loquaces que les hommes ordinaires. Pourtant, on se comprend à peu près et on découvre avec étonnement qu’autrefois on parlait beaucoup pour ne rien dire, en tout cas pas vraiment pour se dire quelque chose. Les mots de naguère qui avant tout blessaient ou caressaient, laissent place à des regards, des gestes, des attouchements. Au bout du compte, on s’entend sans trop de difficulté, même issus de races et de pays différents.

Le temps s’étire et au fur et à mesure que les mots s’évanouissent, on vit à un rythme de plus en plus lent. La parole devient difficile mais elle s’embellit, l’économie obligeant à la performance. Les mots prennent de la valeur. Il faut sacrifier à tout un cérémonial, enrichi de rites multiples, complexes et impossibles à transgresser avant de prendre la parole ou avant de la donner. Commander relève d’un art à part entière. La parole devient d’argent, les hommes cessent de payer des écoutants pour être entendus. Enfin la parole devient d’or, on en fait une monnaie. De nouvelles religions apparaissent. Les partisans de la métonymie se font appeler les trente voiles, ceux de la métaphore les trente maures, ceux enfin de la métempsychose, les trente morts.

On s’interroge sur cet étrange sort qui affecte l’humanité entière. Des diseurs de mauvaises aventures pensent que l’ère des hommes touche à sa fin, qu’une autre puissance prendra le pouvoir : « Les chiens parleront, ils nous évoqueront comme des dieux disparus. »

Mais les choses ne se passeront pas ainsi, les animaux ignorant les hommes et leurs paroles perdues. Les humains sombreront en décadence, se complaisant de l’aube au crépuscule dans des orgies silencieuses et haletantes ; on s’accouplera sans trêve, se confondant les uns dans les autres, anonymes et muets dans une angoissante quête, croyant peut-être ainsi conjurer l’incommunicabilité des êtres qui s’épaissit de jour en jour. En perdant le don de la parole et donc l’outil de leur pouvoir, les hommes oublieront dans le même instant leur conscience d’être et celle du temps qui passe. Ils redeviendront bêtes parmi les bêtes et se tairont à jamais avant de disparaître.

Suite dans l'onglet "Nouvelles"

 

 

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